Une empreinte carbone grandissante
En 2018, le transport aérien mondial produit l’équivalent de 1,1 Gigatonne de CO2, soit 2,56 % des émissions mondiales. On pourrait croire que la part de l’aviation dans la pollution carbone à l’échelle du globe est insignifiante. Ces chiffres sont pourtant loin d’être rassurants :
Aujourd’hui encore le transport aérien est réservé à une minorité puisque seulement 10 % de la population mondiale vole chaque année, ainsi les niveaux d’émissions par rapport au nombre de voyageurs sont énormes.
Cette remise en question doit intervenir très rapidement, l’aviation étant l’un des secteurs les plus dynamiques et les plus prometteurs avant la crise sanitaire. Nul besoin d’être un as du calcul pour comprendre que l’empreinte carbone du transport aérien va grimper en flèche au fur et à mesure que le nombre de voyageurs augmente. Fort heureusement, du moins pour l’environnement, l’effondrement du trafic aérien depuis 2020 sous l’impact de la pandémie, a quelque peu inversé la tendance.
La crise sanitaire a le mérite de mettre en exergue les problèmes et les défis auxquels les compagnies aériennes, les industriels et les pouvoirs publics font face pour sauver le transport aérien, tout en poursuivant des objectifs climatiques compatibles avec les nouveaux engagements de l’Union européenne. L’Europe a réitéré fin 2020 sa promesse d’atteindre la neutralité carbone dès 2050 afin de limiter le réchauffement global en dessous de 1,5 % d’ici la fin du siècle. Sans la contribution de tous les secteurs, y compris le transport aérien, cette ambition ne serait que chimère.
Plusieurs pistes, mais peu de solutions concrètes
Sommés de toutes parts de verdir leur activité, les compagnies aériennes, les constructeurs et les gestionnaires d’aéroports ont réagi en début d’année, à travers l’initiative « Destination 2050 ». L’objectif annoncé se veut très ambitieux :
Ce « plan de vol » contient plusieurs volets, dont le recours aux carburants alternatifs comme le kérosène synthétique durable et les biocarburants, l’instauration d’un système de compensation carbone fondé sur des échanges de quotas d’émissions et le développement de technologies à très faible émission.
Sur le papier, cette feuille de route concorde parfaitement avec les engagements environnementaux pris par l’Union européenne. Pourtant, elle affiche encore de nombreuses failles, notamment au sujet des moyens concrets à mettre en œuvre pour réaliser ce plan.
Comment les compagnies et l’industrie aériennes comptent-elles financer ces changements ? En l’absence de contraintes environnementales dans la législation actuelle, les auteurs de cette initiative vont-ils fixer des obligations propres au secteur aérien ?
Ce plan est-il compatible avec les impératifs de relance économique de l’aviation, durement touchée par la crise sanitaire actuelle ?
Ces questions restant en suspens, il est raisonnable d’attendre les résultats des actions entreprises par le transport aérien français et européen pour attester de sa réelle volonté d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Des mesures illusoires ?
L’initiative « Destination 2050 » fonde beaucoup d’espoir sur les technologies moins polluantes, comme celle développée actuellement par Airbus. Le projet HYPERION repose sur une propulsion à hydrogène, qui devrait être opérationnelle dès 2035.
L’avionneur s’associe avec ArianeGroup, le centre Onera et Safran, entre autres, pour relever cet immense défi. Les autres axes évoqués dans la feuille de route restent flous et sujets à contradiction. Le cas des biocarburants est particulièrement évocateur.
Cette option, largement soutenue par les compagnies aériennes, n’aide pas vraiment à réduire l’empreinte environnementale de l’aviation.
Ces dix dernières années, l’essor des biocarburants dans le transport aérien et automobile a fait bondir de 46 % la production d’huile végétale. Or, cette dernière est intimement liée à la déforestation galopante, notamment en Asie et en Afrique.
Si l’utilisation de biocarburants dans le secteur aérien se poursuit, la déforestation causée par les besoins en huile végétale risque de s’accélérer, provoquant dans son sillage une augmentation des rejets de CO2 dans l’atmosphère.
C’est une perspective loin de correspondre aux objectifs visés par les acteurs de l’aviation. Les compagnies aériennes continuent pourtant de miser sur ces alternatives aux hydrocarbures, qui leur permettraient de raboter leurs émissions carbone de 34 % d’ici 2050. Sur quelles bases ces projections reposent-elles ? En l’absence de solides références scientifiques comme celles présentées dans les rapports de l’association Canopée et de Transport&Environnement, les objectifs de réduction de CO2 de l’aviation paraissent illusoires.
La question trouble de la croissance des passagers
Alors qu’ils ambitionnent de limiter leur empreinte carbone, les acteurs de l’industrie aérienne rêvent en même temps d’augmenter le nombre de passagers chaque année. Le collectif « Destination 2050 » table sur une croissance annuelle de 1,4 % par an, un rythme qui permettrait de maintenir la trajectoire vers la neutralité carbone.
Plusieurs études contestent cette hypothèse, dont celle du think tank Shift Project et celle menée par le cabinet B&L Evolution. Le premier rapport parle d’un taux de croissance plafonné à 0,71 % pour conduire le secteur de l’aviation vers la neutralité carbone. Le cabinet B&L Evolution estime pour sa part qu’une baisse annuelle de 2,5 à 4 % du nombre de passagers s’impose si le transport aérien souhaite réellement arborer le qualificatif « zéro émission ».
Seul problème, après une année 2020 compliquée à tous les niveaux, les compagnies aériennes et toute l’industrie de l’aviation en amont ont besoin d’un retour à la hausse du nombre de voyageurs pour se refaire.
L’aiguillage nécessaire des pouvoirs publics
On peut accorder aux compagnies aériennes le bénéfice du doute sur leur détermination à réduire drastiquement leur empreinte carbone. On espère vraiment que le plan de route des acteurs européens du transport aérien aboutisse à des résultats concrets. Toutefois, l’espoir ne suffit pas à sauver une planète qui suffoque sous les fumées des turboréacteurs, les cirrus et les traînées de condensation des avions.
Le monde de l’aviation doit agir, et vite. Les pouvoirs publics ont la responsabilité, l’obligation même, de l’y contraindre, par le biais d’un cadre réglementaire plus strict et plus clair.
Ils peuvent aussi s’appuyer sur le formidable levier financier des aides gouvernementales débloquées durant la crise sanitaire.
Rien qu’en 2020, l’État français a prévu une enveloppe de 20 milliards d’euros pour sauver de la faillite plusieurs compagnies aériennes, dont l’emblématique Air France. Pourquoi ne pas conditionner ces soutiens financiers à la mise en œuvre d’actions à grande échelle permettant de réduire les émissions de GES ?
La question se pose toujours, sachant que l’aide déployée par l’exécutif ne comporte aucune contrepartie sociale, ni climatique de la part des bénéficiaires. Et c’est désastreux pour l’environnement !
Si l’État compte vraiment sur la participation des entreprises aériennes, c’est tout le cadre réglementaire et financier du secteur qui doit être transformé.
Greenpeace France recommande par exemple l’interdiction des vols court-courriers de moins de 4 h 30 pour les remplacer par des trajets en train de nuit ou de jour.
De son côté, le think tank Swift Project milite pour un encadrement plus strict de l’aviation d’affaires et la densification des cabines sur les vols long-courriers. Les deux organismes réclament la suppression du régime fiscal avantageux dont bénéficient les transporteurs aériens.
Au final, la clé du verdissement du transport aérien se trouve peut-être du côté des voyageurs eux-mêmes. Avec la crise sanitaire, la baisse du trafic et la réduction des émissions carbone qui en résulte, les passagers ont pris conscience du poids écrasant de l’aviation sur l’environnement.
Le mouvement flygskam, qui prône la honte et l’évitement des trajets en avion, a pris de l’ampleur.
La pression populaire sera-t-elle assez forte pour faire plier les entreprises aériennes ? On l’espère.
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